Témoin.
Je n'ai jamais rien dit, moi. Jamais trahi cet
insupportable secret. Jamais.
Trop de propagande, sans doute…
Et trop d'abandon, à côté. Ce qu'est une mère
incapable de s'occuper de deux enfants à la fois…parce qu'elle a ses "
problèmes " à régler, ses " problèmes " qui la travaillent.
La monopolisent et ne lui permettent plus de me prendre sur ses genoux.
Seule ma sœur y a accès, maintenant qu'elle est née… " normal " :
c'est un bébé et moi je suis grande.
…
Mais j'ai appris, courant 2004, que ma sœur, elle,
avait tenté de trahir ce secret. Sans trop le trahir non plus, hein.
Elle me révèle, courant 2004, qu'elle a retrouvé l'adresse des parents d'une
copine d'école. Je lui dis " et alors ? ".
Et alors ?
Un jour, à cette copine d'école, elle a dit " je te dis un secret mais tu
me jures de pas le répéter ". La copine a juré.
Ma sœur lui a alors confié, comme une chose peut-être un peu étrange "
moi je touche le zizi de mon père ".
La copine a juré…
…Mais, curieusement, depuis ce jour-là, il fallait que ma sœur aille chez la
copine. Ses parents ne l'autorisaient plus à venir chez nous.
En clair, en bref, en images : la copine a tout dit à ses parents. Elle a bien fait. On ne garde pas des secrets pareils, il faut en parler à des adultes à qui l'on fait confiance. Elle en avait, elle, dans son entourage. Elle avait de la chance, nous n'avions pas cela, nous.
En clair, en bref, en images : ces adultes ont
protégé LEUR gamine. Ces adultes n'ont rien fait pour nous. N'ont rien dit,
rien révélé. Rien tenté.
Peut-être ne savaient-ils pas comment faire, comment s'y prendre.
Mais moi je leur en veux, je leur en veux, pour ces années. Toutes ces années.
Ces années de calvaire. Ces années de souffrance. Ces années
d'anéantissement. Ces années qui me poursuivent encore, aujourd'hui, et contre
lesquelles je lutte dans un duel sans merci.
Pour toutes ces années que leur silence a permis. Ces années qui m'ont
cassée, détruite, à un point qu'ils ne peuvent imaginer.
Pour toutes ces années que leur parole aurait pu, peut-être, empêcher.
Peut-être.
Peut-être, pas sûr, mais ils auraient du, au moins, essayer.
Pourquoi moi et ma sœur étions, à leurs yeux, moins dignes de protection que
leur fille ?
Parce que nous n'étions pas leurs filles.
Nous n'étions les filles de personne, alors…