Ta trahison, papa
C'était il y a longtemps, maintenant. J'étais encore au lycée.
Dans mon rêve, cauchemardesque, cette nuit là, j'étais en train de me noyer
dans une mare.
Dans la réalité, cauchemardesque, mon père venait de se cogner quelque part,
de bon matin. Il a beuglé si fort sa tonne d'insultes qu'il a réussi
l'exploit. L'exploit de me réveiller de mon sommeil de plomb.
J'ai pensé : " pauvre con, faudrait t'assommer, comme ça tu nous
réveillerait plus ", et me suis rendormie.
Le cauchemar a continué. Impératif.
Je suis ressortie de la mare et me suis retrouvée à pédaler sur le tricycle
que j'avais quand j'étais gosse, sur un sentier. Le tricycle de mes trois ans.
Au bout du sentier un rocher.
Sur le rocher, un homme est assis qui a l'air amical et m'appelle gentiment.
J'avance, confiante.
J'avance sur mon tricycle à roues minuscules, mon petit tricycle qui parcoure
un mètre à peine en dix coups de pédales parce que les pédales sont fixées,
ridiculement, au moyeu de la roue avant, comme sur tous les tricycles d'enfant.
Mais quand je suis près, trop près de cet homme et du rocher pour pouvoir
fuir, son visage se retourne et laisse place à une face obscure, sans nom,
noire, noire comme un trou noir, comme le néant, et qui ne me veut que du mal.
Qui va m'anéantir, m'aspirer, me posséder.
Je me réveille. A temps.
Quel est ce visage sur le rocher ?
Oh, papa, ne te cache pas, c'est toi, c'est toi, c'est toi !
Progressivité de l'agression (écrit le 31 août 2004)
Papa, je commence à comprendre le début, la manipulation :
D'abord le jeu de la montagne, toi couvert du couvre lit. Signe d'affection,
cette affection qui me manquait. Enfin quelqu'un s'occupe de moi, je ne suis pas
morte.
Puis, peu à peu, introduire des jeux où le couvre-lit n'est plus là. Où tu
es nu. Où il faut manipuler ta bite. Où je demande à manipuler ta bite parce
que c'est le seul moyen d'avoir encore de l'affection, pour moi.
Oui papa, tu as raison, c'est moi qui le demandais, à la fin. A la fin
seulement.
Quelle violence innommable, quelle contrainte invisible, pour en arriver là.