Propagande.

Elle a commencé il y a bien longtemps, pour moi.
D'abord, alors que nous habitions encore à Saint Jean, dans le vieux Lyon, ce souvenir. Net.
Je suis sur la barrière de mon lit d'enfant, à califourchon. Avec une sensation bizarre à l'entrejambe.
Bizarre, comme cette question que je pose : " dis papa, à quoi ça sert, ça ? ", en lui montrant une de mes hanches.
Bizarre, oui, mon père m'explique que " ça " s'appelle une " hanche ", et que ça sert, en s'arrondissant quand une femme grandit, à plaire aux hommes.
Bizarre, oui, cette sensation de dégoût qui me vient alors : je ne veux pas que mes hanches s'arrondissent, je ne veux pas que mon corps se modifie pour " plaire aux hommes ".
Je ne veux pas être une femme sous le regard de mon père.

Et puis elle a continué. J'ai oublié. J'ai oublié pourquoi dans ma tête, lors de ma première séance de catéchisme, je croyais que la toussaint s'écrivait " la tous seins ". Et je me demandais ce que venaient faire tous ces seins dans une fête religieuse telle que celle dont parlait l'animatrice devant son tableau.
Tableau où elle inscrit, enfin : " la toussaint ". Ah, ce n'était pas ce que je croyais. Et j'apprends ce qu'est " la toussaint " : le jour des mort(e)s. Je ne savais pas ce qu'était la toussaint. Mais je savais ce qu'était " la tous seins "…Oui, à sept ou huit ans, j'avais été initiée à " la tous seins ". Mais pas encore à la toussaint…

" La tous seins ", ce sont aussi les seins, les paires de nichons, des caw-girl du bébête show, devant lesquelles mon père bave. Littéralement.
" La tous seins ", ce sont aussi les seins, que je ne veux pas avoir. C'est comme les hanches, je ne veux pas, je ne veux pas. Je ne veux pas !

Quelques effets de la propagande.
Alors que je suis en CE1, Faouzi, un grand, dehors, veut que je lui prête mon vélo. Pourquoi pas, mais il est si grand qu'il me casse une roulette.
Faouzi est souvent dehors pour jouer. Moi aussi, encore, à cette époque.
Et puis un jour, Faouzi me demande une autre forme de prêt. Il me demande d'embrasser " ma chatte ". Je n'aime pas cette idée, cela me gêne. Il insiste un peu. Et puis je me dis : après tout, ce n'est qu'une partie de mon corps comme une autre. Il l'embrasse et il arrête d'insister, ça sera fait.
Nous allons dans ma cage d'escalier. Pas la sienne…
Nous descendons au sous-sol, devant les caves. Et devant les caves j'enlève ma culotte, Faouzi embrasse ma chatte. Faouzi s'en va. Je me rhabille. Affaire réglée. Ce n'était pas si terrible. Qu'est-ce qu'il a bien pu y trouver à embrasser ma chatte ? Telle est la question que je me pose à l'époque.
Une partie de mon corps comme une autre…

Christophe est un de ceux qui s'amusent à " me faire peur " à l'école. C'est le début, je suis en CE1 : ces garçons ont remarqué qu'en faisant un mouvement brusque dans ma direction, je prenais peur et hurlais d'un cri strident. C'est drôle. Alors ils continuent.
En CE2, j'ai changé d'école, mais Christophe reste avec moi au catéchisme. On se croise à l'entrée et à la sortie. Et il continue à me faire des misères, sur le chemin, avec sa bande.
Mais un jour, il devient calme et amical. Quelque chose a changé. Je ne comprends pas.
Puis il me parle. Il me parle pour me demander de lui faire " un bisou sur la bouche ". J'ai encore le souvenir de Faouzi, et cette fois, je veux refuser, parce que ça me gêne. Mais je n'ose pas dire " non ". Je ne sais pas faire cela.
Alors je lui dis " oui ", et à chaque fois trouve un prétexte pour ne pas le faire, pour esquiver.
Mais il revient à la charge, et un jour ce doit être " le jour ".
Acculée, je dis que j'ai quelque chose à acheter au supermarché à côté. Il me dit OK, et vient avec moi.
J'ai un plan : je vais en parler à la caissière, c'est mon dernier recours. Elle l'empêchera. Je lui dirai " il veut m'embrasser sur la bouche ", et elle le grondera.
J'arrive à la caisse, et chuchote à la caissière : " il veut m'embrasser sur la bouche ". Elle entend, mais ne réagit pas : des histoires d'enfants, ce sont sans doute des histoires d'enfants.
Je paie, paniquée : que faire ? Que faire pour lui échapper ?
Je paie, et sentant mon heure arrivée, je pars en courant. Je pars en courant du supermarché, toute une nuée de garçons, hilares, à mes trousses, Christophe en tête.
Je cours, traverse le parking et ses deux routes, sans regarder, fonce, fonce, ils me poursuivent, il ne faut pas qu'ils me rattrapent.
Je sens la voiture qui me frôle, de justesse. Oui, dans ma panique je fonce sans regarder, pour leur échapper, et j'y parviens.
J'échappe à cette bande de garçons hilares dont le chef voulait m'embrasser sur la bouche.
J'échappe aussi à l'accident, à la collision avec cette voiture, de justesse.

Prévention.
Un jour, via l'école, une chose inédite m'est mise entre les mains : un bouquin où l'on parle du corps. Une fille de mon âge y est montrée en maillot de bains. Dans le livre, il est écrit " les parties de ton corps qui sont sous ton maillot de bain sont tes parties intimes : personne ne doit les toucher si tu n'es pas d'accord ", ou quelque chose comme cela. Je ne vois pas, moi, la différence entre ce qui est sous le maillot et ce qui ne l'est pas : ce sont toutes des parties de mon corps, et pourquoi faudrait-il interdire aux adultes de toucher ce qui est sous le maillot plus que le reste ?
Parce que cela s'appelle un abus sexuel sur mineur(e), mais je ne peux pas comprendre : un bouquin de prévention ne fait pas le poids quand le père a parlé. Quand le père a parlé auparavant et a fait comprendre que les parties du corps sous le maillot sont des parties comme les autres, et qu'il peut donc les toucher pareil.
Pareil, même si c'est pour donner des sensations bizarres, dont je ne me souviens que par cauchemars interposés. Cauchemars où le plaisir d'une relation sexuelle est remplacé pour moi, aujourd'hui encore, par une angoisse sans fin. L'angoisse générée par l'excitation sexuelle sur un enfant de moins de dix ans. L'angoisse générée par les actes de mon père. Angoisse de l'excitation qui emporte, emporte, emporte, vers où ? Arrête, arrête, mais ça ne s'arrête pas, et je ne sais pas où " ça " va. Où " ça " va m'emmener. Vous parlez de plaisir mais pour moi c'est cette peur qui revient. Cette peur d'être emportée, au ciel, le septième, en plus. Un lieu infini où l'on se perd, sans attaches, sans lien avec le sol. Un lieu où l'on perd pied, où l'on perd tout, le contrôle. Le septième ciel, le lieu de l'angoisse, le lieu d'une terreur sans fin. La terreur d'une chose dont on voudrait qu'elle s'arrête, mais non " vituv vituv vituv ", ça monte, ça monte, ça monte, ça ne s'arrête pas. Ca m'emporte dans le ciel, loin, loin, loin, j'ai peur, je veux redescendre.
Je me réveille.
Mais c'est comme cela aussi dans la réalité, la métaphore en moins. C'est pour cela que pour ne pas perdre le contrôle, je m'abstiens. Ou alors cela se terminerait en larmes, par une tension contenue, un blocage, tout bloquer, pour ne pas être emportée, je ne fais pas exprès, c'est un réflexe. Et les larmes, qui suivent, pour soulager la tension. Les larmes, seul moyen pour cela.
Alors non, les parties sous le maillot ne sont pas des parties comme les autres. Mais, enfant, aucune parole ne fut assez forte pour contrer celle de mon père. Pour contrer ces paroles qui m'ont prises dans un piège, engluée, comme la proie dans une toile d'araignée. Ces paroles appuyées de menaces : "une prostituée, quand elle parle, son mac la coule dans le béton vivante". "Une prostituée, quand elle s'échappe, son mac la retrouve et la coule dans le béton vivante".
Et nul lieu de refuge, nul lieu d'asile pour l'enfant-prostituée, nul lieu d'asile pour Mickaëlle PERRIN, pour moi, hors de portée de mon mac-client.

Pauvres violeurs…
Pauvres violeurs, que condamne mon père, avec sévérité. Quand il entend, à la TV, parler de violeurs d'enfants, il sort de ses gonds, furieux, et rend son verdict, sans appel : " ils méritent la peine de mort, avec beaucoup de souffrances avant ! ". Oh, je ne sais plus, si les souffrances étaient pour eux aussi, ou seulement pour les criminels nazis. J'avoue mon incertitude. Mais pas pour la peine de mort : oui, pour mon père, un violeur d'enfant mérite la mort, c'est ce qu'il dit devant moi. Lui qui ne m'a ni violée ni attouchée, lui qui s'est fait toucher par sa fille, au contraire. Lui qui a commis un inceste qui n'a pas de nom dans les lois. Non, je ne peux me reconnaître dans le terme " attouchements ", car c'était moi qui le touchais, et non l'inverse, dans mon souvenir, à l'époque où je commence à envisager de porter plainte. Non, je ne peux me reconnaître dans le terme " viol ", je n'ai pas souvenir d'actes " de pénétration ", pour reprendre la loi dans son texte, " par contrainte, menace ou surprise ". Il n'y eut ni pénétration, ni contrainte, ni menace, ni surprise.
Et pourtant, il y eut inceste : comment qualifier autrement le fait de " laisser " sa fille tripoter, longuement, tous les dimanche matin, sa bite ? Comment qualifier autrement la manipulation, qui n'est ni de la contrainte, ni de la menace, ni de la surprise, mais un peu des trois à la fois, qui conduit une enfant de 6 ans à faire cela ?

Et moi, dans le bus, adolescente, des mecs me touchent, en plein jour, comme ça. Je les laisse faire. Je les plains même : pauvres hommes qui ont besoin d'affection par ce biais. Et je pense que les violeurs sont des malades, des types traumatisés qu'il faudrait presque prendre en pitié.

Ma mère, de son côté, est beaucoup plus modérée et humaine que mon père vis à vis des violeurs. D'enfants, ou non.
Elle défend depuis longtemps le point de vue selon lequel les violeurs sont des gens malades, qu'il faut soigner. Que les envoyer en prison ne sert à rien pour les guérir. Que la prison est quelque chose de barbare et d'inhumain.
Et ce qui traverse ses propos, c'est cet esprit compréhensif, humaniste, même vis à vis du pire des criminels : le violeur.
Oui, pour ma mère, il faut comprendre les violeurs, les aider, pas les juger.
Pauvres violeurs…pauvres types du bus, aussi…

C'est vrai, la prison est quelque chose de barbare et d'inhumain.
Le viol aussi…
Et ce point de vue trop " humaniste " de ma mère me conduit, en troisième, à l'écriture d'une petite historiette inachevée : l'histoire d'un pauvre violeur innocent poursuivi par la police. Un pauvre violeur innocent qu'il faut aider à se cacher, à s'enfuir. Un violeur en série, bien sûr.
Et donc, dans la réalité, ces pauvres mecs dans le bus, qui ont tant besoin d'affection, peuvent trouver en moi une personne compréhensive : je les laisse me toucher.
Oui, pauvres violeurs…

Pauvre de moi, surtout, coincée entre l'indulgence et la peine de mort. Aucune place pour la victime dans ces conceptions. Elle n'existe pas. JE n'existe pas. Alors je me tais.
Idiotie de ma mère protégeant son bourreau, et donc aussi le mien : un violeur est un malade, il faut le prendre en pitié, le faire soigner. Pas le juger, pas le condamner…
Probable manipulation de mon père signifiant : si tu parles, je mérite la mort. Jusqu'à récemment, j'ai cru qu'il pensait ce qu'il disait. C'est possible. Mais je penche plutôt aujourd'hui pour cette deuxième hypothèse, celle de la manipulation. Et ses phrases sur les prostituées, revenues à ma mémoire plus tard, confortent pour moi cette dernière hypothèse de façon décisive.

Première fois.
C'est un soir, de retour de manif'. Nous sommes en plein mouvement contre le SMIC jeunes. Mouvement lycéen, mouvement " de casseurs ". Mouvement réprimé. Dans la fumée l'on entend des cris. Cris sous les matraques. Violence. Violences policières. Fumée de lacrymos. Balles de caoutchouc.
Nous luttons pour nos salaires futurs. Nous gagnons, parce que nous sommes sans concessions, intransigeant(e)s. Parce que nous sommes allé(e)s jusqu'au bout.
Mais je m'égare, là n'est pas mon sujet aujourd'hui.
C'est donc un soir, de retour de manif'.
A l'arrêt du bus pour rentrer chez mes parents, je discute avec deux militants. Ils s'apprêtent à me quitter, me laissant attendre mon bus, quand un mec m'accoste. Un mec lourd. Ils reviennent alors vers moi, et, le mec parti, l'un d'eux me propose de m'héberger pour la nuit afin d'éviter que cela " tourne mal " pour moi, cette attente du bus à minuit. Blasée par ce qui vient de se passer, je dis d'accord, je le suis. Chez lui.
L'on mange, puis il me tape la convers'. Nous discutons, échangeons nos parcours militants et un peu, aussi, personnels.
Ce jeune de 24 ans, étudiant en sciences, a un chat blanc qui fouille les poubelles. Qui fouille les poubelles comme tout chat recueilli dans la rue qui se respecte.
Ce jeune de 24 ans, étudiant en sciences, est aussi en rupture familiale. Rupture avec ses parents. Il est parti de chez eux, a été à la rue quelques jours. Une assistante sociale l'a alors aidé un peu. Il a fallu, pour cela, qu'il arrive avec son sac à dos…
Ce jeune de 24 ans, étudiant en sciences, occupe une place de responsable importante aux jeunesses d'un grand parti de gauche.
Nous discutons, polémiquons, sur nos idées politiques très différentes.
Puis vient l'heure où nous allons dormir, nous coucher.

Et, là, je m'aperçois : non seulement il n'y a qu'une pièce chez lui, mais aussi, dans cette pièce, il n'y a qu'un lit, la mezzanine. Où vais-je dormir ?
Il lui semble naturel, pas besoin de mots pour cela, que je dorme dans l'unique lit. Lui aussi vient s'y coucher…
Naïve, je crois que ce type qui est intervenu pour me protéger tout à l'heure, et a si longuement discuté avec moi, là maintenant, est capable de me proposer cela sans arrières-pensées.
Après tout, n'ai-je pas dormi dans la même chambre que René, l'un des chefs de mon groupuscule politique, sans qu'il y ait le moindre problème.
Mais, en fin connaisseur de la technique commerciale dite du " pied dans la porte ", le voilà qui passe à l'acte, me met la main sur une chose…en érection…
Mais où suis-je tombée ?
A côté du lit, tout est prévu, je m'en aperçois : un immense bocal de la taille d'un aquarium à poissons rouges contient toutes sortes de…préservatifs.
Je lui dis : " tu prends ton pied tout seul ". Il fait mine de ne pas entendre. Ou alors n'entend pas, je ne dois pas parler assez fort, peut-être ?
Et puis, j'ai 18 ans, je ne suis jamais sortie avec personne, tant je suis " à part ". Et puis ça la fout mal, de ne " l'avoir pas fait " au-delà de 18 ans, quand même.
Alors la pression sociale fait que je " consens ". Je " consens ". Oui, c'est le mot. Consentir. Pas " vouloir ", juste " consentir ".
Consentir, puisque je suis quasiment devant le fait accompli.
Fait qui s'accomplit, un peu sans moi, j'attends juste que ça passe. Il prend toujours son pied tout seul, il ne comprend pas que je reste immobile. C'est que je ne suis pas là, il faut bien " y passer ", c'est tout. Vierge à 18 ans, franchement, ça fait coincée…
Pas besoin d'avoir été incestuée pour vivre ce type de situation ? Je ne sais pas. Je ne crois pas être un cas si particulier, à cet égard. Et c'est bien là le problème. Problème d'une société qui a remplacé la norme de la virginité avant le mariage par celle de la " performance " sexuelle obligatoire. Problème d'une société qui résume, à l'école, l'éducation sexuelle à la prévention contre les MST. Aucun débat, aucune discussion, sur le rapport humain qu'elle est avant tout, sur la nécessité du respect. La sexualité, vue par les adultes à l'école, c'est trop souvent un préservatif arôme vanille. Arôme vanille parce que pour la fellation, quand même, c'est plus agréable que l'arôme latex…

Quoi de pire que de n'avoir pas connu le " septième ciel " à 20 ans, de nos jours ?
Je sais, moi : l'avoir connu à 6, 7 ou 8 ans, et ne vouloir jamais le ressentir de nouveau. Par exemple.
Mais à l'époque j'avais oublié ce " détail ". Mon corps, lui, s'en souvenait. S'en souvient toujours.

Quelques temps plus tard, une tentative de parler de cet événement à la médecine préventive universitaire à l'occasion d'une visite de routine reçut pour réponse un " mais si vous avez été dans son lit c'est normal que ça se soit passé ".
Bien sûr. Normal. Comme fut normal le fait que j'aie revu ce type plusieurs fois par la suite, comme si de rien n'était. Revu simplement, invité à boire un jus, discuter de la vie, de nos difficultés, obtenir une forme de soutien moral. Aussi normal que pouvait l'être, durant des années, le fait d'avoir vécu avec mon père comme si de rien n'était, croyant que ma famille et mon père étaient " normaux ", tant personne n'avait jamais rien nommé comme anormal.
Normal…je ne sais si cette " première fois " pourrait être nommée viol. Quelle importance à vrai dire ? Abus de confiance, manipulation, cela est sûr. Cela suffit.
Suffit aussi la piètre considération pour soi qui conduit à accepter, à " consentir ", pour être dans la norme. La transparence de l'acte, l'absence : cela ne m'a rien fait, hormis mal bien sûr, physiquement. Cela ne m'a rien fait, je suis passée à travers. Mon corps est transparent. Comme celui de Claire Cartonnet, la première fois qu'elle fait une passe contre monnaie. Claire Cartonnet, prostituée lyonnaise qui revendique le " droit " de vivre du " travail du sexe ". Elle le dit si bien : " cela ne m'a rien fait ". Oui, rien fait, ni chaud ni froid. C'est fait. C'est tout.
Le corps comme monnaie d'échange contre de l'affection, ou l'argent qui symbolise alors cette valeur que l'on se redonne ainsi. Je donne mon cul à mon père, ou à un autre homme. Ainsi, j'obtiens un minimum d'affection, d'attentions.
Le minimum vital…Vital.
Ou de l'argent, des cadeaux. Ce n'était pas dans les habitudes de mon père, mais le procédé est fréquent, aussi : mon enfant, tu auras du gâteau, ou ce jouet, si …
" Si "…

Tout une éducation, un dressage, un lavage de cerveau. Une…propagande, qui mène là, à cette misère. Une propagande qui fut, pour moi, l'œuvre de mon père incestueux.

Et je pense à ma grand mère, qui a du aller bien plus loin dans cette voie. Ma grand mère qui a vécu un moment de ce que certain(e)s osent appeler le " travail du sexe ".
Je suis abolitionniste, je le dis haut et fort. Il est de bon ton dans certains milieux féministes actuels d'être pour le droit de " vivre de son corps ", après avoir condamné bien sûr la prostitution forcée dont les bénéfices vont dans l'escarcelle d'un(e) maquereau(maquerelle). Je suis féministe, mais je suis pour le droit de chacune, moi, à vivre de ses mains et de sa tête. Pour le droit de chacune à une place à part entière dans la société. Donc pour l'abolition de la prostitution.
Abolition qui passerait notamment, à mon sens, par des mesures d'accueil des mineur(e)s en rupture familiale avec leurs parents, comme Claire Cartonnet, comme moi, comme tant d'autres. D'autres qui finissent par se trouver une " famille " dans la zone, une famille moins maltraitante, malgré tout, que la leur. Mais une famille qui les met sur un trottoir, ou les shoote, trop souvent.
Un hébergement pour les adolescent(e)s fugueurs, pour les adolescent(e)s mis à la porte de chez eux, aussi. Avec un encadrement à réfléchir, un signalement aux parents que leur enfant n'est pas perdu, mais ne veut pas revenir pour l'instant. Une tentative de comprendre ce qui se passe, de recoller les morceaux si cela est souhaitable, mais pas à tout prix, avec toute la difficulté que cela implique, bien sûr.
Mais non, la famille est sacrée. On ne veut pas entendre ces ados de la rue. On ne veut pas nous entendre. On préfère nous regarder, une fois que le mal est trop bien fait : délinquant(e)s, toxicos, prostituées, SDF…
On préfère ne pas nous aider contre nos familles maltraitantes, on préfère nous enfoncer encore plus lorsque nous sommes déjà dans la zone : regardez ces " zonard(e)s "... On préfère ne pas voir qu'il existe des familles qui sont si destructrices. On ne voit le mal que lorsque des os sont cassés, un corps est couvert d'ecchymoses, un père ou une mère boit, en plus d'être au chômage bien sûr. Et encore. Parce que les honnêtes travailleurs, et plus encore les cadres, eux, ne maltraitent pas leurs enfants. Parce qu'on ne peut maltraiter son enfant qu'après avoir bu. Bien sûr, tant il est impensable qu'un parent, à jeun, détruise son enfant.
Impensable, pas pour moi qui sais, qui ai vécu cela.
Mes parents ne sont pas vos parents, à vous qui me lisez. Il m'est aussi difficile de comprendre ce que sont des parents pour vous, qu'il vous est difficile de comprendre ce que représentent les " parents " pour moi. Pour moi, oui, il est ordinaire qu'un parent, à jeun, détruise son enfant. Pour vous, sans doute pas. Sans doute, au contraire, est-ce impensable. C'est tout ce que je vous souhaite, en tout cas : que vous ayez du mal à le concevoir.

Et ces clients, souvent honnêtes travailleurs, voire cadres, qui s'affichent à mots couverts, toujours à mots couverts… " péripatéticienne, le plus vieux métier du monde "…mais non, ce n'est pas un métier, c'est une aliénation, une aliénation de soi.
Contre argent, au moins, il est vrai…
Ces clients qui s'affichent à mots couverts, là, autour de moi, dans la vie de tous les jours. Ces types qui auraient payé pour que ma grand mère leur fasse une passe.
Ou n'auraient pas payé, et se seraient reçu un bon coup de vitriol dans la tronche, puisque c'est ce qu'elle a fait le jour où, en plus, le client a voulu partir sans payer.
Bien fait.
Bien fait.
Ces types qui paient pour que d'autres, comme ma grand mère, leur fasse une passe…je suis juste réjouie quand je me dis que, parfois, ils risquent la défiguration à vie par usage du vitriol. Juste retour des choses…
Juste, mais piètre retour des choses.

Le plus vieux métier du monde est sage femme, il ne faudrait pas que ces messieurs-là l'oublient.
Il ne faudrait pas qu'ils oublient grâce à qui ils sont venus au monde.
Il ne faudrait pas qu'ils oublient, non plus, qui les a portés pour cela neuf mois durant.
Et c'est pourtant ce qu'ils font, en payant pour se faire ma grand mère, en payant pour se faire de la chair fraîche féminine, aujourd'hui encore.
Car péripatéticienne, c'est sûr, c'est un " métier " moderne, qui embauche. Au berceau et des deux sexes, parfois, de nos jours.
On appelle cela d'un pudique mot : le "tourisme sexuel". Et des gônes comme moi, en plus des adultes, à l'autre bout du monde, sont sacrifiés à ces messieurs, à leur pouvoir abject de tortionnaires, de jouissance sadique, de domination absolue.
Un peu comme j'ai été sacrifiée à un monsieur, à son pouvoir abject de tortionnaire, de jouissance sadique, de domination absolue : à mon père.
Qu'ils crèvent tous dans les souffrances qu'ils produisent. Qu'ils emportent avec eux, le jour de leur mort, le mal qu'ils produisent.
Que leur âme, ce jour-là, ressente les souffrances de leurs proies.
Qu'ils regrettent et comprennent. Qu'ils en pleurent de remord le jour et la nuit.

Le livre de Claire Cartonnet, dont le point de vue est très différent du mien, mais très intéressant, aussi : " j'ai des choses à vous dire " (je n'ai pas l'éditeur).

 

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