Faux souvenirs
(écrit le 23 mars 20/05)


C'était durant l'été 1997. Tout m'est revenu. Enfin, l'essentiel. Cette image, floue, floue comme dans mon cauchemar de torture, dans mon cauchemar où l'on m'arrache les yeux à la petite cuillère pour que je n'y voie plus, mon cauchemar où l'on me coupe la langue pour que je ne parle plus, mon cauchemar où je saigne parce que quelque chose a été ouvert qui n'aurait pas du l'être...
Oui, toutes ces images-là, sont floues comme celles du cauchemar, exactement pareilles.
C'est leur caractéristique majeure, fondamentale.
Et donc, cette première image, floue, m'est revenue.
J'avais oublié. Mais elle avait toujours été là, pourtant, cette image. Je ne sais quand je l'ai oubliée.
Je ne sais quand je me suis souvenue.
Je sais juste qu'en cet été 1997, cette image qui a pourtant toujours été là, est revenue dans ma mémoire, comme si elle ne l'avait jamais quittée.

Cette image du " jeu de la guitare ". Cette image de mon père nu sur le lit, et de moi sur lui, lui tripotant la bite dans tous les sens.
Je ne veux y croire.
C'est un fantasme. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas vrai. Ou bien c'est  un " souvenir écran ", c'est à dire un faux souvenir qui sert à en masquer un réel.
Mais non, le " souvenir écran ", qui cachait le souvenir réel, était ce fantasme que j'avais, en CM2. Ce fantasme qui me faisait " désirer " que le curé qui nous faisait le catéchisme soit nu, couché sur le dos, et moi sur lui, enfant, le tripotant. Le tripotant tout en sachant que c'est mal, tout en étant rouge de honte.
Atrocement rouge de honte.
Tout en étant mal, si mal, si mal…

Non, ce n'est pas possible. Cette image floue, qui plane, en suspension comme un nuage éthéré, ne peut pas être vraie.
Et pourtant elle est là.
Mais ce n'est pas possible : CE N'EST PAS MOI, CE N'EST PAS LUI. C'est trop horrible. Mais d'une horreur abstraite.
L'horreur à l'idée que cela me soit arrivé à moi, précisément à moi. Non, je ne suis pas là. Je suis absente. Ce n'était pas moi…

Pour élucider l'énigme, pour être sûre, je décide de poser la question à mon père. Un jour, comme d'habitude,  il s'incruste au téléphone alors que c'est avec ma mère que je conversais ainsi.
" Bon vous arrêtez de téléphoner, parce que ça va me coûter cher pour la facture de téléphone ! ".
Enervée, hors de moi, je lui rétorque, simplement : " dis-moi, papa, tu te souviens des jeux du dimanche matin, tu pourrais nous en parler ? ".
CLAC.
Bruit du combiné que l'on raccroche.
Mon père a fui, et vient d'avouer, par cette fuite, qu'il se souvient de jeux faits le dimanche matin. Et pas de n'importe quels jeux : des jeux qui font fuir dans l'instant, par raccrochage du combiné téléphonique…
Il me confirme, ainsi, que mon souvenir était réel. Hélas réel.
Aucun doute possible.
J'aurais tellement préféré que mes souvenirs soient faux, que ce soit un fantasme de ma part, un simple fantasme, comme le croyait Freud, et comme le prétendent celles et ceux qui s'appuient sur lui, aujourd'hui encore, pour mettre en doute notre parole, à nous victimes de ces actes sales et dégueulasses que sont les actes incestueux.
Pour mettre en doute notre parole et nous réduire au silence. Au silence qui nous tue, nous ronge, nous détruit.
Au silence qui nous a si longtemps détruit.
Au silence qui m'a détruite jusqu'à maintenant.
Au silence qui permet aux parents incestueux l'impunité.
Au silence qui permet aux autres de ne pas voir, tremblant(e)s, cette éventualité atroce, devant eux : j'aurais pu être cet(te) enfant ; mon père, ma mère…auraient pu être comme ceux-là.
C'est impensable.
In-croyable…

 

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