En mémoire de ma grand-mère maternelle,
morte en août 2003 pour cause de " canicule "…
Construire sur ces fondations ?
(écrit en octobre 2003)
Ces images qui reviennent : la prostitution, la
violence. Le stigmate oublié.
La tâche. La salissure putride.
Portée sur le corps comme une marque au fer rouge.
Le non-dit. Le non-dit de cette souffrance, de cette destruction.
On a tou(te)s un côté obscur un côté clair.
Lequel l'emportera ? Pour soi, pour les autres ?
Mamie est morte chienne en laisse, sans espoir.
Un tyran lui rongeait le cœur et l'âme durant toutes ces années. L'a
détruite. Anéantie.
On a tou(te)s un côté obscur un côté clair.
Lequel l'emportera ? Pour soi, pour les autres ?
Elle aimait ses enfants elle les a tués. Le Tyran l'a
emporté. L'a emportée.
Il n'est resté que des ombres. Et la violence.
Et la violence.
Cette violence qui ronge tout comme un acide. Voudrait l'emporter, t'emporter.
Surgir en toi comme autrefois. Souviens-toi.
Quand tu tapais ta sœur, quand tu voulais un Idéal pour défendre un camp fanatiquement. Quand tu restais insensible à l'humain, en toi et chez les autres : quand un enfant pleurait, en toi ou devant toi, et que tu attendais juste que ça passe, le regardant d'un œil indifférent. Quand tu prenais la défense des violeurs, quand tu nies ta vie et ton désir.
Souviens-toi.
Quand tu étais dure comme le fer, avec les gamins odieux de cette colo. Avec les élèves, parfois, aussi. Avec toi, enfin.
Souviens-toi.
Quand tu hésitais à partir de chez eux, de chez tes parents, par peur, par culpabilité ?
Mais l'histoire commence là. Dans le combat contre le
Tyran en toi, et dans les autres, peut-être.
Mais l'histoire commence là, dans la peur et la solitude. Il faut tout
reconstruire dans la boue putride, le purin.
On a tou(te)s un côté obscur un côté clair.
Lequel l'emportera ? Pour soi, pour les autres ?
Il faut tout reconstruire. La boue deviendra brique. Peut-être. Mais quel effort colossal ?
Mamie, une pensée pour toi, qui n'es plus. Une pensée
pour tes années de souffrance et de malheurs.
Pour ces cachets que tu avalais en silence, pour supporter la vie et dans
l'espoir d'échapper au non-sens, au vide.
Mamie, une pensée pour toi qui n'es plus. Pour tes années de souffrance et de malheurs. Pour ce secret que tu me cachas jusqu'au bout. Pour ta honte.
Mamie, une pensée pour toi qui n'es plus. Pour nos
années de souffrance et de malheurs. Pour cette violence que tu as subie et
transmise, pratiquée sur tes enfants.
Pour cette ombre qui nous guette toujours au coin de la rue : celle de la
complicité avec le côté obscur de l'humain.
Mamie, une pensée pour toi qui n'es plus. Pour l'horreur qui est encore, au-delà de la mort, au-delà du temps.
Une pensée pour Lucas, seul, perdu depuis longtemps. Entre mythe et inexistence. Enfoncé dans le néant.
Je n'oublie pas la pute, je n'oublierai pas non plus l'institutrice.
Mamie, une pensée pour toi qui n'es plus. Pour l'éphémère de l'être humain. Une pensée contre le malheur qui s'ajoute à l'existant : nous vivons, nous mourrons. Que cela suffise à notre peine, pourquoi y ajouter le fiel des jours passés ? Pourquoi les humains ajoutent-ils le malheur construit par leurs soins au malheur de notre condition ?
Je veux tenter un autre chemin.